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Elias l'écuyer

Il y a bien longtemps, vivait un couple de paysan pauvre et simple, l’homme labourait leur champ et la femme s’occupait des bêtes, ils avaient moult enfants et tout était paisible. Mais un jour un autre bébé naquit, la vie qui était déjà difficile devint pire encore, car il ne leur était pas aisé de nourrir toute leur famille. Les années passèrent et un soir, devant une chandelle le paysan et sa femme en soupirant se résignèrent à vendre un de leur enfant pour le bien des autres.

 

« Les temps sont durs femme, même en nous privant nous ne parvenons pas à nourrir tout le monde, si nous voulons manger, c’est la seule solution. »

 

« Je le sais bien, mais du quel devons nous nous séparer ? Les petits ne sauront se débrouiller et les grands nous sont d’une grande aide pour les corvées ; de toutes façons, je ne saurais choisir. »

 

« Allons dormir, nous verrons demain. »

 

Tous deux allèrent se coucher le cœur serré, mais le lendemain, un cavalier vint à leur ferme réclamant l’hospitalité. Ils l’accueillir et lui donnèrent le peu qu’ils avaient, l’homme était un respectable chevalier revenant de la guerre, son épée et son armure étincelante impressionnèrent beaucoup les paysans, à qui une idée était vint alors. Timidement, ils lui expliquèrent leur problème, le chevalier les écouta et se mit à réfléchir, puis il demanda qu’on lui amène le plus jeune enfant de la chaumière. Lorsque le dernier né arriva devant lui, le cavalier le considéra puis il dit aux parents :

 

« Mon aide de camps est mort à la guerre. Pour vous remercier de votre hospitalité, je veux bien faire de celui-ci mon écuyer, il viendra avec moi, je lui enseignerai ses devoirs et le protégerai. »

 

Le couple de paysan accepta, ils firent leur adieu à leur enfant des sanglots dans la voix, en l’embrassant, puis l’enfant et le chevalier partirent.

 

« Comment t’appelles-tu ? » Demanda le chevalier.

 

« Elias. » Répondit le petit garçon de sa voix fluette.

 

Pendant des années Elias fut au service du chevalier, il lavait son armure, brossait son cheval, aiguisait son épée et fit bien d’autres tâches qu’un écuyer doit faire. Maladroit au début, il apprenait vite, son maitre le réprimandait mais c’était un homme juste et un chevalier valeureux. Quand Elias fut assez grand, il lui offrit un cheval et lui apprit à le monter. Ainsi tout deux parcouraient le pays et le petit garçon était devenu un jeune homme, lorsqu’ils s’arrêtèrent un jour dans un village où chacun était sombre et préoccupé. Ils s’arrêtèrent dans une auberge. En mangeant le chevalier demanda la raison de ces tristes mines.

 

« C’est le monstre messire, une odieuse créature a élu domicile dans la forêt et personne n’ose plus y pénétrer. » Lui expliqua l’aubergiste. 

 

« Un monstre ? »

 

« Oui, un gigantesque homme tenant une immense hache, il poursuit et tue tout ceux qu’il croise. »

 

« Il arpente la forêt, je l’ai vu comme je vous vois, je chassais avec deux autres compères, il nous est tombé dessus et a tué mes deux compagnons d’un seul coup, c’est un démon je vous l’dis ! » Ajouta un homme à la table d’à côté.

 

Alors les hypothèses fusèrent d’une table à l’autre, c’était une punition divine pour les uns, le gardien de la forêt pour les autres, un démon, un esprit né des animaux morts et qui se vengeaient et d’autres choses encore.

 

« On l’appelle : « le bûcheron ». Continua l’aubergiste que plus personne n’écoutait sauf Elias et le chevalier. Les chasseurs ont trop peur de lui pour aller dans les bois, la nourriture se fait rare, c’est un grand malheur pas d’doute. »

 

« Demain j’irai l’affronter. » Déclara le chevalier.

 

Le silence se fit, tous le regardèrent certain voulurent l’accompagner poussé par un sentiment soudain d’héroïsme, mais ils se ravisaient aussitôt et ne dirent rien. Le chevalier se leva et partit se coucher suivi de son écuyer. Le lendemain, éperonné et armé, son armure et son heaume bien en placent ; il partit sur son destrier, accompagné par Elias en direction de la forêt, sous les regards effrayés des villageois.

 

« C’est de la folie messire ! » Cria l’aubergiste pour tenter de le dissuader.

 

Mais leurs silhouettes disparaissaient déjà dans l’ombre des feuillages. Ils chevauchèrent au pas parmi les arbres.

 

« Êtes-vous certain que ce soit une bonne idée messire ? » Demanda Elias peu rassuré. 

 

« Un chevalier se doit de protéger les plus faibles et d’affronter le mal sans fléchir, je te l’ai déjà dit. »

 

Elias se tu. Ils continuèrent et sur un sentier, le bûcheron apparut. Ils stoppèrent les chevaux, le jeune écuyer contempla le monstre, un frisson lui parcourant le corps. La créature était semblable à un homme mais deux fois plus grande et deux fois plus forte, il portait un grand tablier brun avec des bottes, son visage était recouvert par un masque de cuir grossier, sans trous ni pour les yeux ni pour le nez ou la bouche, son épaisse main gauche tenait une massive hache rouillée à l’air sinistre. Le soir tombait, la pénombre grandissante ajoutait une atmosphère lugubre à ce tableau d’horreur. Elias déglutit nerveusement, à ses côtés, refermant son heaume et déterminé à vaincre, le chevalier dégaina son arme et s’élança au galop à l’assaut de l’immonde créature. Mais à peine fut-il à portée que le bûcheron lui asséna un puissant coup de sa hache, tranchant d’un seul coup la tête du cheval, l’armure et le buste du chevalier, qui tombèrent morts répandant une mare de sang dans l’herbe. La monture d’Elias paniqua, jetant son cavalier à terre et s’enfuyant, le pauvre écuyer jeta un coup d’œil effrayé à ce qui restait de son maitre, mais le bûcheron avançait déjà vers lui. Se relevant comme il put, Elias prit la fuite dans la forêt, la créature à ses trousses, il courut de toutes ses forces et se cacha finalement, recroquevillé sous un arbre effondré. Il écoutait terroriser les lourds bruits de pas du bûcheron le cherchant dans les buissons, la nuit était tombée complètement, tremblant de tout son être, les larmes aux yeux et couvrant sa bouche pour étouffer le bruit de sa respiration, Elias crut son heure arrivée. Mais par chance le bûcheron ne le trouva pas, alors dès qu’il fut parti, le jeune garçon sortit de sa cachette et courut sans s’arrêter jusqu’à l’auberge d’où il ne sortit pas pendant toute une semaine.

Là, il pleura la mort du noble chevalier. Au fil des jours sa peine se transforma en rancœur puis en colère et bientôt, le désir de venger son maitre s’empara de tout son esprit. Il discuta avec les chasseurs du village de leurs stratégies et de leurs pièges pour attraper le gibier et il monta son plan. Par de nombreux efforts, il les convainc de l’aider, alors jour après jour dans la forêt les uns guettaient tandis que les autres mettaient en place le piège suivant les instructions d’Elias. Lorsque tout fut terminé, vint le moment de décider qui servirait d’appât. Les chasseurs roulaient des yeux inquiets, aucun ne voulaient se désigner pour une mission aussi dangereuse ; Elias bien conscient de la terreur qu’inspirait le bucheron déclara qu’il irait lui. Les villageois et les chasseurs l’accompagnèrent, mais de leurs vœux seulement. Saisissant son courage à deux mains, le jeune écuyer pénétra dans la forêt.

Bien que l’après-midi commençait à peine, tout y était silencieux. Sur ses gardes, Elias cherchait l’affreux bucheron, il sursauta en le trouvant au détour d’un sentier, qui se tenait face à lui sa terrible hache déjà prête pour sa sanglante besogne. Le monstre abattit l’arme qu’Elias évita de justesse, elle se planta profondément dans la terre, mais la créature n’eut aucun mal à la sortir, alors ne perdant pas de temps, le jeune garçon s’enfuit le plus vite possible en direction du piège, les lourds pas du bucheron créant comme un rythme soutenu qui marquait sa course, soudain alors qu’il l’avait presque rattrapé, Elias bondit, saisi une corde devant lui, qui le balança plus loin, tandis que le bucheron tomba dans la profonde fosse creusée et camouflée par le garçon et les chasseurs, s’empalant de tout son poids sur les piques acérés planté au fond. Elias se jeta à quatre pattes aux bords du gouffre, alors il put voir le terrible bucheron transpercé, disparaitre dans un flash de fumé noir, ne laissant derrière lui que son affreux masque et sa grande hache. Elias, s’asseyant dans l’herbe, fixait les arbres devant lui, ayant encore du mal à réaliser que tout était fini, puis un grand rire le prit, moitié nerveux, moitié soulagé. Les villageois, pris de remords surgirent des buissons, armés et serrés les uns contre les autres, prêt à affronter le monstre, mais le spectacle qu’ils trouvèrent n’était pas du tout ce à quoi ils s’attendaient et Elias, fou de joie leur montra le succès de son piège.

On referma la fosse avec le masque et la hache bien au fond et on fit la fête toute la nuit. On célébra Elias, son idée et son courage, on chanta, on bu et on dansa. Le seigneur du domaine qui avait eu vent de l’exploit et qui en était fort heureux et impressionné, adouba Elias en preuve de reconnaissance. Le jeune écuyer devint chevalier au service du seigneur, il fit pour le cadavre de son défunt maitre une sépulture digne de ce dernier.

Bien des années passèrent, Elias l’écuyer comme on l’appelait d’abord par moquerie, puis par amitié, était un bon chevalier. Il s’illustra dans de nombreuses batailles et remporta moult tournois, il respectait le code de la chevalerie aussi bien que le faisait son maitre et chacun des chevaliers de la cour était fière que son épée serve aux cotés de la sienne. Mais un jour, le vieux seigneur, vint à mourir, le domaine fut transmis à son jeune fils, des jours sombres s’installèrent. Car l’oncle de celui-ci convoitait ces terres et voyait en la jeunesse de son neveu l’opportunité de les prendre par la force, il fallut donc peu de temps pour que la guerre ne soit déclarée.

Devant l’inexpérience du jeune seigneur et la puissance militaire de l’oncle, beaucoup changèrent de camps, préférant se ranger derrière le présumé vainqueur, seul restèrent les fidèles chevaliers et quelques paysans. Tous savaient le château perdu, bientôt, l’armée de l’oncle siègerait sur les collines alentours et un seul assaut lui suffirait pour remporter la victoire. Mais le jeune seigneur et ses chevaliers se tinrent prêt au combat, ils iraient à la bataille avec honneur, même si l’adversaire était plus fort ou plus nombreux.

Elias, observant les champs depuis les remparts, ne s’avouait cependant pas vaincu, plissant les yeux, il cherchait comment renverser la situation, alors les souvenirs de sa jeunesse lui revinrent, les tournois, les combats, mais parmi tout cela, un vieux souvenir, qu’il n’avait jamais oublié, celui de sa première victoire, de son premier succès, le piège tendu « au bucheron ». Tous les détails de cet épisode lui revinrent en mémoire et il sut alors ce qu’il devait faire. Il alla en faire part aux chevaliers, mais ceux-ci trouvaient sa méthode déshonorante, aucun ne voulut s’y prêter.

 

« Alors je le ferais seul ! » Répondit-il en colère. 

 

Il sortit du château et alla faire les repérages pour son plan. Intrigué les paysans le regardèrent creuser et amasser des rondins de bois dans les champs et les collines, mais bientôt, ils vinrent l’aider et Elias dirigea tout un chantier de paysans, creusant, sciant, frappant aussi vite qu’ils pouvaient car le temps leur était compté. Devant un tel spectacle, et l’espoir qu’il donnait, les chevaliers mirent leur fierté de côté et participèrent à ces étranges besognes. Au bout de quelques jours tout était terminé, juste à temps, car les étendards et les trompettes de l’assaillant, apparaissaient et claironnaient déjà en haut des collines.

L’armée ennemie s’installa en face du château, tandis que les paysans coururent se réfugier et que les chevaliers sortaient leurs chevaux derrière les remparts. Tous attendirent que la bataille commence, l’oncle laissa passer la nuit, pensant que son neveu se rendrait au petit matin, mais rien de tel n’arriva. Il sonna alors la charge, fantassins et cavaliers se ruèrent depuis les collines sur le château. Mais alors qu’ils arrivaient au plein galop dans les champs, les cavaliers tombèrent dans une tranchée large, cachée par les reliefs du sol, les chevaux se brisèrent les pattes et se rompirent le cou, tandis que leurs cavaliers s’assommèrent à terre. Les fantassins et les mercenaires, courant et brandissant leurs armes, ne sentirent pas le sol s’écrouler sous leurs pieds, et chutèrent en nombres dans de traitreuses fosses camouflées, où les attendaient piques, et pieux mortels. Quelques paysans courageux surgirent, qui étaient cachés dans l’herbe, pour abattre les cavaliers ou attaquer par surprise les fantassins, tandis que le reste de l’armée hurlait, mutilé, en se prenant dans des pièges à loups et à lapins disséminés un peu partout. Pour en finir enfin, les chevaliers conduit par Elias, fondirent depuis le château sur l’ennemi, achevant ceux encore debout et mettant en déroute les autres. Ainsi l’oncle fut vaincu, Elias et les siens revinrent victorieux et l’allégresse emplit le château et ses occupants. On raconta encore longtemps après cet exploit, où une poignée d’homme avait gagné contre une armée entière, grâce à un ingénieux chevalier.

Elias se vit offrir une terre par son seigneur et trouva femme, il servit encore de nombreuses années, puis lorsqu’il fut trop vieux pour brandir son épée, il se retira dans son domaine et fini paisiblement ses jours auprès de son épouse, de ses enfants et de ses petits-enfants. Des chansons furent écrites en son honneurs et personne n’oublia le valeureux chevalier qu’il avait été, mais jusqu’à la fin, Elias se rappela d’un jeune écuyer qui arpentait les routes aux côtés de son maitre.

 

 

08/2017

Layer Hadrien

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