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Le pot de chance

Grégoire méditait sur ce que venait de lui dire son ami.

Rentré depuis à peine quelques minutes de son travail, sa journée et son retour laborieux en train, qui avait prit une bonne demi-heure de plus qu’en temps normal, à cause d’un obscur problème technique dont il ne saurait jamais les détails, l’avaient vidé de toute énergie comme de tout courage. Une fois son manteau enlevé, le jeune homme s’était laissé tomber sur son canapé sans même retirer ses chaussures.

Grégoire, n’arrivant pas à se motiver pour aller prendre une douche et préparer à diner, était resté inerte, à fixer le vide. Mais alors son regard s’était posé sur la fenêtre de son salon, dont il fallait tirer le store, maintenant que la nuit était tombée. Afin de rester allonger plus longtemps, le jeune homme avait alors cherché dans sa poche son portable, mais ne trouvant qu’un vieux mouchoir et deux pièces de centime, il se souvint que son téléphone se trouvait dans son manteau.

 

Comme tout semblait le lui inciter, Grégoire se leva péniblement et partit fouiller dans son manteau beige. Il fit défiler son répertoire, cherchant qui il pouvait bien appeler. Tandis que le tonalité sonnait, le jeune homme ferma le store de la fenêtre du salon.

Il appelait un bon ami avec qui il était en contact régulier, mais qu’il n’avait pas vu depuis longtemps. Ils échangèrent sur tout et sur rien, Grégoire lui raconta comment il avait dû changer le clavier de son ordinateur de bureau après que le fil de celui-ci, sans aucune raison, s’était mis à faire des étincelles ; comment il avait dû réécrire un rapport lorsqu’une panne d’électricité avait éteint son ordinateur avant qu’il ne sauvegarde et enfin, l’incident technique qui avait rendu son trajet de retour aussi long que désagréable.

 

« Tu es vraiment un poissard ! » S’était esclaffé son ami.

 

Le mot était étrangement resté dans l’esprit de Grégoire. Après avoir raccroché, celui-ci s’était laissé retomber sur son canapé. L’expression de son ami tournait en rond dans sa tête. Depuis trente deux ans, Grégoire ne s’était jamais considéré comme malchanceux. Assez fataliste, il avait plutôt tendance à relativiser un peu tout, même lorsque son avion était tombé en panne alors qu’il allait voir un match de son équipe favorite, qu’il avait raté le match et que son billet ne lui avait pas été remboursé... Il s’était dit alors : « mieux vaut que ce soit avant le décollage », puis : « il y aura d’autres matchs » et enfin : « bah ! ça aurait pu être plus cher. »

 

« Un poissard... » Répéta le jeune homme.

 

Mais un sms fit sonner son portable et voyant l’heure qui tournait, Grégoire se leva pour prendre un douche et préparer à manger.

 

    *

Il faisait frais mais clair, dans ce début d’après midi de dimanche.

Grégoire avait traînassé toute la matiné dans son appartement, sans autre intention que de continuer à ne rien faire.

Après le déjeuner, le jeune homme s’était accoudé à la rambarde de sa fenêtre. En contre bas, il avait constaté qu’une brocante animait la rue derrière son immeuble. Grégoire avait alors décidé à l’improviste de descendre de chez lui pour se mêler aux étalages. Il aimait bien les brocante, les vides-grenier et tout ce qui en générale permettait de farfouiller dans un tas de bricoles qui n’avait aucun rapport les unes avec les autres. Dans les magasins, les produits étaient alignés, sous une lumière à néon, qui les faisait luire d’un aspect artificiel. Les haricots, à côté des petits-poids, à côté des poid-chiche, à côté des lentilles ; puis dans le rayons suivant, les crackers à côté des chips, à côté des cacahuètes etc... Tout bien organisé selon le type du produit, selon le rayon. A l’instant où Grégoire piétinait dans la foule, son regard se posait sur une vieille poupée avec une tâche sur la robe, à côté d’une boîte à écrous pleine, à côté de bols visiblement fait en atelier de poterie... Chaque table présentait un bric à brac insolite, qui avait un jour, été un objet convoité, avait servie ou non, et était devenu une babiole dont pouvait se passer son propriétaire avec plus ou moins de facilité, selon son attachement émotionnel.

Mais quelques stands, les plus importants, étaient tenu par des brocanteurs professionnels. Grégoire aimait particulièrement ces stands, qui ressemblaient aux boutiques d’antiquités mais en plus abordables pour lui. S’arrêtant devant l’un d’entre eux justement, le jeune homme parcourait les diverses trésors exposés, avant de buter sur quelque chose.

C’était une grosse jarre, assez large et pas trés haute. Elle était visiblement prévu pour accueillir de grandes plantes, comme celles qui ornent les entrées dans les restaurants orientaux, qui depuis le sol font jaillir d’immense feuilles vertes. Elle était simple, sans hanses, avec le bas un tout petit peu plus fin que le corps bombé et une ouverture qui se recourbait sur les cotés. Blanche, la jarre arborait de larges traits de peinture rouge, qui ondulaient et se terminait en s’entortillant.

Grégoire s’accroupit pour observer l’objet.

 

« Attention m’sieur, elle est moins lourde qu’elle en a l’air, mais quand même... » Prévint le brancoteur.

 

« C’est un belle objet... » Répondit Grégoire en levant brièvement les yeux sur l’homme à la grosse moustache grise à qui il appartenait.

 

« Oui, elle est simple mais c’est comme qui dirait c’qui fait son charme... »

 

Le jeune homme voulu poser quelques questions, sur la provenance, le matériau ou encore l’ancienneté de la jarre, mais il se dit que n’y connaissant rien, on pourrait lui raconter n’importe quoi, vérité ou mensonge, il ne serait pas capable de le savoir. Et de toute façon, cela ne changeait rien, il voulait cet objet. Alors Grégoire demanda : « combien ? », paya et rentra chez lui en portant l’imposante acquisition avec ses deux mains.

 

En arrivant chez lui, il dû poser la jarre au sol pour ouvrir sa porte et enleva son manteau, puis ses chaussures, avant de poser ses mains sur sa taille en regardant la jarre qui attendait d’être mise à son nouvel emplacement.

Grégoire envisagea plusieurs endroits : sur la table du salon, mais un si gros vase faisait étrange sur une pas si grosse table ; à côté de sa télé, mais on aurait dit un objet mis là en attendant de trouver une place ; dans l’entré, mais elle gênerait la porte... Alors, le jeune homme opta pour le coin entre son canapé et sa fenêtre. Là, contre le mur, par terre, il l’a trouva bien.

Satisfait Grégoire alla se préparé un thé. Avec sa tasse fumante, il s’assit sur son canapé, en jetant un coup d’oeil à la jarre. Mais tandis qu’il prenait une gorgée il entendu comme un soupir : « ksssh ». Il regarda autour de lui, mais il ne vit rien d’inhabituel. Le bruit recommença, c’était plus saccadé, comme un ricanement étouffé : « ksh ksh ksh. » Grégoire se tourna vers sa droite, là d’où semblait venir le bruit. écoutant attentivement, il se pencha de coté, puis à la troisième fois, il s’appuya sur l’accoudoir et scruta sa jarre. En dessous de son visage, l’ouverture ne laissait pas voir le fond, mais seulement une obscurité d’un noir épais et insondable. Alors, comme si elle avait été une paupière, l’obscurité dans la jarre s’écarta et un gros œil en amende s’ouvrit.

Grégoire épouvanté, se leva dans un bond, renversant son thé et s’éloigna en trébuchant nerveusement. Après, quelques secondes, le jeune homme s’approcha prudemment de la jarre et avec hésitation repassa sa tête par dessus. Depuis l’intérieur, le gros œil le fixait toujours, de son iris rouge comme la peinture qui ondulait dur les côtés de l’objet.

 

« N’ai pas peur. » Résonna une voix qui tirait sur les aigues et qui semblait provenir du fond de la jarre.

 

Grégoire sursauta. Il recula puis sans bouger réavança seulement le buste pour voir l’œil.

« Je... Heu... Bonjour... Heu... Tu... Vous... Qui es... Vous ? Qui... êtes vous ? » Bredouilla-t-il.

« Je suis l’esprit qui habite ce pot. » Répondit tranquillement la voix.

L’œil à l’iris rouge et au blanc immense, légèrement verdâtre, fixait le jeune homme sans cligner, suspendu dans le noir du pot.

« Le... Pot ? Répéta Grégoire. Je suis désolé... Je pensais avoir acheté une jarre... Enfin... Je pensais que c’était une simple jarre... Un simple pot... » S’excusa-t-il comme lorsqu’on dérange quelqu’un chez lui.

« Ce n’est pas un simple pot. Répondit la voix. Car je peux changer ta vie... Je vois, que tu n’as pas toujours eut beaucoup de chance... Grégoire... »

Le jeune homme senti un frisson le parcourir.

« Comment savez-vous... Mon nom ? » Demanda-t-il à voix basse.

« Je peux faire de toi l’homme le plus chanceux de cette terre. Reprit la voix lentement en articulant chaque syllabe. Il te suffit de passer un pacte avec moi... Alors, toute la providence du monde sera tienne ; tous les coups du sort te seront favorables ; Jamais plus le hasard de la vie ne te sera un obstacle... En échange... Chaque fois que la chance te bénira... Un de tes souvenirs devra venir remplir le pot... Qu’en dis-tu ? »

Grégoire ne répondit rien. Il fixait l’œil en fronçant les sourcils de méfiance, la voix charmeuse remplissait sa tête comme l’esprit semblait remplir les ténèbres du pot. Mais il ne savais pas quoi répondre. Il ne savait pas comment réagir. Il ne n’arrivait à vrai dire même plus à penser.

« Tu hésites ? Remarqua l’œil. Ksh ksh ksh... Ricana-t-il doucement. Alors reviens me voir quand tu sera décidé. »

 

Sur ces mots, les ténèbres se rabattirent dessus par le bas, comme une paupière d’ombre et il disparut. Grégoire resta debout, lorgnant l’endroit où la créature était apparut, se demandant ce qu’il venait de se passer.

Il resta troublé tout le reste de la journée, n’osant plus approcher son canapé ou la fenêtre du salon. Il couvrit le pot avec un drap et dina en ne cessant de lui jeter de furtifs coup d’œil. Le soir venu, il alla se coucher, mais resta éveillé a fixer le plafond de sa chambre une partie de la nuit.

 *

 

L’ambiance était lourde au travail. A la suite de difficultés financières, l’entreprise de Grégoire malgré les différentes négociations avec le corps syndicale avait annoncé que des licenciements n’avaient pu être exclu. Parmi les employés, ces remerciements ne faisaient pas de doute sur les équipes dans lesquels ils frapperaient. Mais la pression des travailleurs et les réunions des managers qui faisaient de leur mieux pour annoncer la nouvelle avec douceur avaient fini par faire comprendre que le choix se portait sur deux équipes, dont celle de Grégoire. Aucun nom n’avait été énoncé, mais dans l’équipe du jeune homme et dans l’autre, l’atmosphère était tirée, chacun pencher sur son ordinateur comme si en relevant un peu le buste, ils se seraient heurter à l’épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes.

 

Dans l’après-midi, le chef d’équipe organisa une réunion à huit clos, pour préparer les esprits avec le maximum de tact possible, aux annonces qui se feraient prochainement. La situation était claire : Des licenciements auraient lieux, soit dans cette équipe, soit dans l’autre. Les supérieurs des RH devaient encore statuer.

 

Anxieux et démoralisé, Grégoire passa le reste de la journée le front plissé. Plus le soir tombait, plus la peur le prenait. En rentrant chez lui, le jeune homme se mordit les ongles pendant tout le trajet, en ressassant pour se rassurer, les raisons qui pourraient lui éviter le renvoie. Mais une phrase lui revenait en tête, réduisant chaque fois ses efforts à néant : « tu es vraiment un poissard Grégoire ! »

« Pourvu que je ne soit pas viré ! Pourvu que j’ai de la chance ! Se répétait-il. ... De la chance... » dit-il en murmurant les yeux exorbités par une révélation, qui fit changer de place son voisin de métro.

 

Grégoire monta en courant les escaliers de son immeuble, sorti ses clefs de sa poche en faisant tombé sur le pallier son paquet de mouchoirs, il entra en trombe dans son appartement et sans même enlever ses chaussures, se précipita vers le pot. Là, il marqua un arrêt. Arracha le drap qui le recouvrait et se tint debout au-dessus du large pot blanc, aux décorations rouges. Dans le pot, il n’y avait que le noir insondable qui cachait le fond.

 

« Esprit ! S’exclama Grégoire. J’accepte ! Je veux faire un pacte ! »

 

Le jeune homme attendit une réponse. Pendant quelques secondes rien ne se passa, Grégoire pensa qu’il avait rêver, qu’il parlait à une jarre vide et qu’il était ridicule...

 

« Ksh ksh ksh... » Ricana une voix tout bas.

 

L’œil de l’esprit s’ouvrit, le rouge de son iris semblait plus vif que la dernière fois.

 

« Tu es décidé ? » Demanda-t-il.

 

« Oui ! »

 

« Alors, tu n’a qu’à verser une goutte de ton sang dans le pot et le pacte sera scellé. »

 

Grégoire parti dans la cuisine, fouilla dans les tiroirs mais trouva les couteaux trop gros pour son courage. D’un coup, il se souvint de la vieille boîte à couture que lui avait laisser sa grand-mère. Il farfouilla dans le placard du salon, la trouva et en sortit une fine épingle. Puis le jeune homme revint au-dessus du pot. Au-dessus de l’œil qui le fixait. Il se piqua l’index et fit couler une goutte de sang qui tomba sans bruit dans le pot. Alors, en dessous de l’œil, un sourire glaçant apparut, aussi blanc que la porcelaine dont Grégoire supposait que le pot était fait. Formant un parfait croissant de lune immaculé et au contraste dérangeant avec l’obscurité du pot.    

 

« Nous voilà lié par un pacte. Tu es dorénavant béni par la providence. Je te souhaite donc... Bonne chance. Ksh ksh ksh. » Annonça l’esprit avant de disparaitre.

 

Grégoire ne sentait aucun changement en lui. Il regarda ses mains.

 

« Je suis chanceux à présent ? Je ne serais pas renvoyé !? Esprit ! » Appela-t-il.

 

Mais l’esprit ne réapparut pas et ne répondit rien. Le jeune homme remarqua que des gouttes de son sang perlaient sur le parquet, alors il alla mettre un pansement et trop dépité pour manger, il alla se coucher.

 

 *

 

« Personne dans l’équipe ne sera remercié ! » Annonça le chef de Grégoire.

 

Les collègues de l’équipe réunis en privé dans la salle de réunion B, se regardèrent avec des sourires nerveux, relâchant leur souffle. Parmi eux, le plus soulagé semblait être leur manager. Grégoire se laissa tomber contre le dossier de sa chaise, comme vidé de sa consistance après le départ de son inquiétude. Mais le jeune homme ne pensais pas du tout au pacte passé la veille. Après tout, un peu de chance cette fois ne prouvait rien...

 

Le lundi suivant, en allant chercher son petit déjeuner dans sa boulangerie habituelle, on lui annonça que la machine à café venait de tomber en panne et que le client précedent n’ayant pas voulu du café long, il ne avait commandé un serré, on le lui offrait.

Le mardi, Grégoire acheta un paquet de jambons de dix tranches, qui en contenait douze. 

Le mercredi, le vent lui souffla un papier au visage, lorsqu’il sortait du métro. C’était un billet de dix euro.

Le jeudi, un courrier lui annonça que sa banque ayant fait une erreur de débit, son compte serait remboursé et crédité d’une somme supplémentaire en dédommagement.

Le vendredi, le supermarché où il faisait ses course organisa un tirage au sort parmi ses clients fidéles. Le jeune homme gagna un weekend dans un spa de province.

Le samedi, au matin il pris le train pour son week end, mais fut surclassé en première classe.

Le dimanche, après les massages, le jacuzzi et les bains revigorants, il s’allongea sur son lit d’hôtel avec un soupir de satisfaction.

 

Aucun de ses voyage en métro n’eut plus de problèmes ; ses projets et ses dossiers trouvaient grâces aux yeux de ses supérieurs qui étaient toujours dans un bon jour au moment de les examiner et lui valurent même une promotion ; si des choses désagréables survenaient, Grégoire en tirait toujours un quelconque bénéfice. Après quelques semaines, « Grégoire le poissard » était devenu « Grégoire le veinard ».

Mais pour le jeune homme, aucun de ses coups de chance ne valait celui de sa rencontre fortuite avec Anna. Pour une fois, son métro avait été fermé, il avait dû prendre le bus, comme tous les autres passagers Là, collé les uns aux autres, écrasé contre les portes-documents et les barres métalliques, il avait été nez à nez avec une jeune femme dont les cheveux brun en queue de cheval, retombaient en une fin mèche sur les yeux qu’elle chassait sans parvenir à la faire tenir sur sa tête. Embarrassé par leurs souffles proches, il avait baisser la tête, elle l’avait levé. Contre son tailleur et sa jupe de travail, elle tenait nerveusement un classeur. Au moment de sortir, leur gêne avait été plus grande encore, car ils allaient dans la même direction, sur le même trottoir. Anna embarrassé par son retard le premier jour dans sa nouvelle entreprise et par cet homme qui semblait la suivre ; Grégoire embarrassé, ne sachant s’il devait marcher à sa hauteur en prolongeant leur gêne ou marcher dérrière elle au risque d’avoir l’air de la suivre. Les deux priant pour que leur chemin se sépare le plus vite possible. Mais cela n’arriva pas et lorsque Anna lui fut présenter comme sa nouvelle collègue, leur chef profita qu’ils s’étaient déjà rencontrés pour demander à Grégoire de faire visiter les locaux à la jeune femme.

Le jeune homme montra les différends étages, se maudissant de bégailler en présentant les lieux. Anna le suivi, se maudissant d’avoir les yeux rouges à cause de son stresse du matin.

 

« Et ici... Heu c’est la cantine... Heu c’est là que... Qu’on... »

 

« ... Qu’on mange ? »

 

« Euh... Oui... »

 

Grégoire avait souri malgré lui ; Anna avait pouffé et tous les deux avaient éclaté de rire.

 

Depuis, chaque jour une occasion ou un évènement les avaient rapproché et aujourd’hui amoureux, Grégoire et Anna vivaient une tendre relation.

 

Depuis des mois, Grégoire appréciait un quotidien agréable, chaque semaine réservait une bonne surprise. Le jeune homme se sentait comme allégé de jour en jour. Il se rendit même compte que ce bonheur lui avait fait oublié nombre de ses mauvais souvenirs, de moments désagréables dont il ne parvenait plus à se remémorer.

Bientôt, Anna emménagerait chez lui. Tout semblait parfait au moment où son train de banlieue percuta un train de marchandise, tandis qu’il se rendait chez Anna à 120 km/h.

 

Lorsque Grégoire reprit connaissance, à cause des gouttes de sang qui lui perlait sur le visage, il ne réalisa pas tout de suite où il était, ni ce qu’il s’était passé. Au milieu du wagon plié comme un gobelet de plastique, rien des vitres brisées, des barres métalliques tordues, cassées et encastrées ou des passagers dont on arrivait pas vraiment à savoir s’ils étaient un siège déformé ou un corps mutilé, rien, n’aurait pu lui permettre de savoir qu’il se trouvait dans les reste d’un train.

Abruti, assourdis, Grégoire tituba tant bien que mal hors du wagon. Dehors, les lumières bleues et rouges des ambulances et des pompiers l’aveuglèrent. Les yeux exorbités, il avançait, sans savoir où, sans entendre les secours qui s’étaient précipité vers lui et le conduisaient vers un véhicule d’urgence.

Le jeune homme fut conduit à l’hôpital, on le questionna sur ce dont il se souvenais de l’accident.

 

Une fois de retour dans son appartement, furieux, le jeune homme le tint au dessus du pot, entre son canapé et sa fenêtre.

 

« Esprit ! Appela-t-il impérieux. Je devais avoir de la chance ! Le sort devait m’être favorable ! Sais-tu que j’ai eut un accident de train !? Sais-tu que j’ai faillit mourir !? Et c’est ça être chanceux !?»

 

Alors, l’œil au blanc verdâtre de l’esprit s’ouvrit.

 

« Tu ne pense pas avoir eut de la chance ? Répliqua lentement la voix du fond du pot d’un ton moqueur. Es-tu mort ? As-tu seulement été blessé ? »

 

Grégoire ne savait plus ce qu’il avait répondu aux questions de la police à l’hôpital, mais ce qui lui revenait, c’était la façon dont les médecins l’avait examiné et éberlués s’étaient regardés en lui diagnostiquant... Une parfaite santé. A part un état de choque, Grégoire ne resta que deux jours à l’hôpital. Le jeune homme n’avait rien... Aucune blessure, si ce n’est le nez qui saigne et quelques bleus.

« Combien de passagers ont survécu à l’accident ? » Ajouta l’esprit en plissant son gros œil dans un regard hilare.

 

Grégoire réalisa à cet instant que des passagers des trois premiers wagon, il était le seul survivant....

 

« Vous avez eut une sacrée chance monsieur. » Lui avait dit un des médecin.

 

« A ce niveau ce n’est plus de la chance ! S’était exclamé un de ses confrères. C’est un foutu miracle ! »

 

Tremblant de rage, le jeune homme alla chercher le drap et le jeta sur le pot. Il entendit étouffé, le ricanement de l’esprit.

 

« Ksh ksh ksh... »

 

Très vite le jeune homme fut solliciter par les journaux et la télé, en tant que « miraculé du train », mais Grégoire encore tremblant d’émotion, ne pouvait cesser de ressasser : « vous avez eut une sacrée chance ! », « ...Une sacrée chance ! »

 

 *

A son bureau, ses collègues lui apportèrent tout leur soutien. Anna, avait été morte d’inquiétude et se sentait maintenant coupable car l’accident était survenu alors qu’elle avait donner rendez-vous à Grégoire chez elle. Mais le jeune homme la rassura, et plaisanta même en proposant de reporter leur rendez-vous mais cette fois, chez lui. Il reçu de nombreux petits cadeaux et son chef lui donna quelques jours de repos, pour se remettre.

 

En admirant un bouquet de fleur sur son bureau, Grégoire demanda de qui il venait.

 

« A ton avis ! S’exclama en riant son voisin de bureau. C’est de Mireille ! »

 

« Mireille ? Mireille... » Répéta Grégoire en cherchant dans sa mémoire.

 

 « Tu charries !? S’écria son collègue. Regarde, elle a même mit une carte. »

 

Effectivement une petite carte était accroché au bouquet. Elle disait : j’en ai planté des comme ça dans notre village, viens donc les voir à l’occasion.

 

« Notre village ? » Lu a voix haute Grégoire en regardant son voisin d’un air incrédule.

 

« Mais... Fit celui-ci en perdant son sourire. Mais oui, le village dans le jeux en ligne auxquels vous jouez tout les deux ! Tu sais, farm qu’que chose ou je sais plus quoi là ! Vous y jouiez tous les deux avant que tu sois avec Anna... »

 

Grégoire retourna son regard sur le bouquet en battant des paupières. Il ne se souvenait ni de Mireille, ni du village, ni du jeu.

 

« Dis donc mon vieux, tu devrais peut-être rentrer, t’as dû avoir des choques à la têtes avec cet accident, fais gaffe, c’est sérieux... »

 

Grégoire suivi le conseil de son collègue. Le lendemain, il prit rendez-vous pour se faire ausculté, mais le scanner cérébrale était formel : aucune lésion, aucun choque, aucune commotion... Le médecin le rassura, en lui affirmant qu’après une telle mésaventure, les cas d’amnésie temporaire n’étaient pas rare. C’était simplement psychologique. Mais une angoisse était née dans la poitrine de Grégoire. Une angoisse qui grandissait à mesure qu’il s’apercevait qu’il n’était plus capable de se remémorer de la plupart de ses souvenirs d’enfant, et que des morceaux entiers de sa vie actuelle semblaient lui échappé... Il ne se rappelait plus de Mireille, ni d’avoir jouer à un jeu en ligne de village ou de ferme. Il ne se rappelait plus pourquoi il avait une photo d’un grand chien dans son salon, ni de la raison pour laquelle il avait des livres pour apprendre la trompette dans sa bibliothèque. Il ne se rappelait plus pourquoi en fouillant dans son placard, il avait trouvé une boite à couture...

Alors, ce que lui avait dit l’esprit du pot lui revint en mémoire. Un sentiment glacé passa dans sa poitrine. Lentement, le jeune homme s’approcha du pot blanc et rouge. Retira la drap qui le recouvrait et posa la question dont il connaissait déjà la réponse :

 

« Esprit... Pourquoi est-ce que je perd mes souvenirs ? »

 

Une fois de plus l’œil s’ouvrit. Le rouge de son iris semblait flamboyer.

 

« Ne te l’ai-je pas dit il y a quelques mois ? Je peux faire de toi l’homme le plus chanceux de cette terre... En échange... Chaque fois que la chance te bénira... Un de tes souvenirs viendra remplir le pot... »

 

Alors Grégoire réalisa tout le poids du pacte, le prix de cette chance qui bénissait son quotidien depuis tout ce temps.

 

« Je... Stop ! Je veux arrêter ! Je mets fin à notre pacte ! » Cria le jeune homme.

 

« Ksh ksh ksh... Ricana l’esprit. En es-tu sûr ? »

 

« Oui ! »

 

« Pour mettre fin au pacte... Il faut que le pot soit briser... »

 

Grégoire et l’esprit échangeaient leur regard sans ciller. Puis avec un air farouche et déterminé, le jeune homme se pencha, saisit les bords du pot dans l’intention de la fracasser au sol... Mais tous ses efforts pour le soulever furent vain. Après avoir fait craquer son dos, il tomba en arrière. Là assit sur le sol, il regardait avec effroi, en haletant le pot qu’il portait à une seule main quand il lui avait cherché une place dans l’appartement.

 

« Ksh ksh ksh. Se moqua l’esprit. Les Hommes sous-estiment toujours leurs souvenirs... Mais ceux-ci sont chargés des émotions ressenties alors... Joie, remord, tristesse, colère, surprise, soulagement, honte, peur et amusement... Si les Hommes se courbent au fil des âges... C’est à cause du poids de tout cela non ? »

 

Alors, l’effroi fit place à la colère. Se relevant furibond, Grégoire parti chercher dans son peu d’outils le marteau qu’il ne se rappelait pas qu’on lui avait offert et frappa le pot avec hargne. Mais il ne se brisa pas. Aucun des objets lourds ou solides que le jeune homme trouva ne put faire la moindre entaille ou laisser ne serait-ce qu’une simple marque...

« Ksh ksh ksh... » Ricanait l’esprit à chaque tentative.

 

Alors Grégoire tenta de trainer le pot, de le pousser jusqu’au pallier et de le faire tomber dans l’escalier, mais le pot était si lourd qu’il semblait clouer sur le sol. Il ne parvint pas à le faire bouger d’un centimètre.

L’esprit se moquait toujours. Son affreux sourire était réapparut sous son œil. Son sourire ignoble, qui paraissait plus grand à mesure que Grégoire redoublait ses efforts... 

Le jeune homme, désespéré, ne s’avoua pas vaincu pour autant. Il chercha à retrouver le brocanteur, peut-être saurait-il lui dire, comment se débarrasser de ce maudit pot. Mais le vieille homme ne savait pas... Il lui expliqua qu’il avait acheté cette jarre pour une bouché de pain pendant une vente aux enchères de biens appartenant à un millionnaire, dont la famille se débarrassait de quelques bricoles.

Grégoire lui demanda s’il se souvenait du millionnaire, ce à quoi le brocanteur secoua sa moustache dans un grand rire.

 

« Tout le monde le connait ! S’exclama-t-il. C’était le sujet préféré de la presse à scandale. Et faut dire que... C’était vraiment scandaleux ! » Dit-il en cessant de rire sur un ton sévère.

 

Le millionnaire en question était un jeune homme lambda qui avait fait fortune après avoir gagné plusieurs courses de chevaux puis avait eut la chance extraordinaire de gagner au loto, avec tous les bons numéros... Dans l’ordre... Et avec le numéro bonus... Il était devenu richissime tout d’un coup. Mais au fil des ans, une étrange amnésie l’avait frappé, sa famille en avait profité pour mettre la main sur ses biens et lorsque celui-ci ne fut plus capable de rien, ils l’avaient bouclé dans un hôpital.

Retrouvé l’établissement ne fut pas difficile, surtout pas pour Grégoire. Devant la porte du millionnaire, il y avait bien un garde, mais par chance celui-ci s’absenta pour aller au toilette et Grégoire en profita pour entrer. Dans la chambre, tout était très lumineux. Le soleil entrait par la fenêtre et un rectangle de lumière s’étirait sur le sol et sur le pied du lit. Dans celui-ci, un homme, à l’air hagard regardait vers la fenêtre, assit contre son oreiller.

 

« Monsieur Germain ? » Appela Grégoire en s’approchant doucement.

 

L’homme tourna lentement la tête vers lui en battant des paupières.

 

« Bonjour... Je m’appelle Grégoire, je... Je voudrais vous parler... »

 

« ... »

 

Le millionnaire regardait le jeune homme avec curiosité.

 

« J’ai... J’ai acheté un pot... Enfin, une grande jarre blanche et rouge... Qui vous appartenait... Je voudrais savoir- »

 

« Une jarre ? » Répéta monsieur Germain.

 

« Oui, une jarre blanche et rouge, vous vous en souvenez ? » S’exclama Grégoire enthousiaste.

 

« ... Une jarre... J’avais une jarre blanche et rouge... »

« Oui ! Ce pot... Enfin dans cette jarre il y a un esprit... Comme un démon ! Vous avez passé un pacte avec lui ! Vous vous rappelez !? Pour avoir de la chance ! et- »

 

Grégoire s’arrêta car l’homme secouait la tête.

 

« Je ne m’en souviens pas... » Déclara-t-il.

 

L’enthousiasme se changea brutalement en déception.

 

« Mais si ! Rappelez vous M. Germain ! Vous avez passé un pacte avec lui ! Comment vous en êtes vous débarrassé !? » 

 

Le millionnaire regardait Grégoire d’un air hébété.

 

« Vous... Vous m’avez appelé M. Germain deux fois... C’est mon nom ? »

 

La déception se mua en désespoir. Grégoire laissa retombé ses bras ballants. A ce moment le garde entra dans la chambre. Il interpella Grégoire et lui somma de partir.

 

« Excusez-moi de vous avoir dérangé... Au revoir M. Germain. » Dit le jeune homme d’un ton vidé.

 

Il rentra chez lui, s’affala sur son canapé. Il n’y avait rien à faire, il était complétement abattu.

 

 *

Anna s’inquiétait. Depuis l’accident de train, Grégoire n’était plus le même. Il était apparu comme un zombie au bureau, ne réagissant à rien ou à peine. Lorsque Anna lui proposait de se voir, il répondait vaguement quelques chose qui finissait toujours par : « ... Il faut que je surveille sur le pot... » Récemment il ne venait même plus. On commençait à penser que le jeune homme était tombé en dépression.

Mais Anna avait un affreux présentiment. Il fallait qu’elle fasse quelque chose ou c’en serait fini de eux deux, elle ne laisserai pas son amoureux tombé. La jeune femme avait tenté de la joindre plusieurs fois mais Grégoire ne répondait plus au téléphone ; il ne répondait même plus aux sms, ou aux messages sur les réseaux sociaux. Alors ce soir, le visage attristé mais d’un pas ferme, Anna se dirigeait vers la porte de l’appartement du jeune homme. Elle sonna, attendit... Frappa, attendit... Appela, et n’attendant plus, elle saisit la poignée qui tourna bien volontiers, car la porte n’était pas fermée.

En entrant, elle trouva Grégoire sur son canapé. Le jeune homme se tenait les jambes grandes ouvertes, les coudes appuyés sur chacune de ses cuisses, les mains ballantes. Il était courbé comme écrasé par une enclume. Mais ce qui frappa Anna, c’était son visage relevé à l’expression et au regard vides, qui fixait devant lui. Se ressaisissant, la jeune femme s’écria :

 

« Tu étais là ! Si tu ne veux pas me voir très bien ! Mais ne m’ignores pas ! »

 

Grégoire leva lentement les yeux sur elle.

 

« ... Comment cela ? » Murmura-t-il.

 

« Comment cela !? S’exclama Anna de plus en plus en colère. Tu ne réponds plus à mes appels ! Tu ne réponds plus à mes messages ! tu ne m’ouvres même pas quand je suis à ta porte ! »

« ... Je dois surveiller le pot... » Répondit le jeune homme d’une voix éteinte.

 

Anna fut stupéfaite par cette réponse absurde.

 

« Mais qu’est-ce qui t’arrives Grégoire ! Cria-t-elle d’une voix enraillée. Tu ne viens même plus au bureau ! Tu ne parle que de ton... Ton pot là ! Elle porta un index accusateur vers le pot entre le canapé et la fenêtre. Qu’est-ce que je dois comprendre dis moi !? »

 

« ... Vous m’appelez par mon prénom... Alors on se connait ? » Demanda le jeune homme.

 

Le choc fut violent pour la jeune femme. Son visage se crispa, des larmes envahirent ses yeux.

 

« ... J’ai compris ! » Déclara-t-elle en reniflant.

 

Elle se retourna et fit deux pas vers la porte. Mais elle s’arrêta, serrant les poings, se retourna à nouveau et à grandes enjambées s’approcha du pot.

 

« TU VAS VOIR C’QUE j’EN FAIS DE TON POT ! »

 

Alors Anna d’une main, saisit le pot, le brandit en l’air et le fracassa sur le parquet.. Un grand : « kshhhhhhhh » se fit entendre, puis le silence revint. Grégoire sauta de son canapé, toisant interdit les éclats arrondis qui se basculaient sur le sol. Anna se redressa en essuyant une larme qui avait coulé dans le geste, prête à lui faire face, mais Grégoire dans un rire de soulagement se jeta dans ses bras.

 

« Anna ! Oh ma Anna ! » Disait-il.

 

La jeune femme perplexe se laissa étreindre sans rendre ce débordement d’affection, mais Grégoire la fit asseoir et lui raconta toute l’histoire.

 

La plupart de ses souvenirs lui étaient revenu et d’autres revinrent petit à petit par la suite. Anna lui pardonna et tous les deux, ils ramassèrent les éclats du pot avant de tous jeter à la poubelle.

 

« Mais comment as-tu fait pour le soulever ? » S’était interrogé Grégoire.

 

« Je suppose que tes souvenirs ne sont pas un poids pour moi. » Avait proposé Anna en souriant.

 

Ils se satisfirent de cette réponse et descendirent les ordures. Dans le sac dans la grande poubelle sur le trottoir, ils ne virent pas l’œil qui s’ouvrait dans l’obscurité d’un morceau, ni n’entendirent le très léger ricanement qui s’en échappa :

 

« Ksh ksh ksh... »

 

Layer Hadrien 08/01/2022

Morphojarre n°2 - visuel tiré du jeu de carte Yugioh ©Kazuki Takahashi

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