
L'animal est-il doué
de concepts ?
«Les questionnements à propos de l’esprit des animaux non humains sont pluridisciplinaires: ils intéressent aussi bien les philosophes de l’esprit que les psychologues cognitifs et les scientifiques qui travaillent en psychologie comparative ou en éthologie. [...]
Par exemple, les philosophes de l’esprit, en se questionnant sur la nature ou le fonctionnement de l’esprit des animaux, pourront être amenés à clarifier certaines notions théoriques fondamentales, comme celles de concept, de croyance ou de conscience.
L’attribution de concepts aux animaux non humains, Samuel Cashman‑Kadri, Université Laval, 2015

La volonté d’attribuer ou non des concepts aux animaux est un enjeu crucial puisque cela impliquerait également de leur attribuer ou non des pensées. Un concept étant la représentation abstraite d’une chose pensée (soit la signification d'une pensée), ce concept ne peut dès lors exister que par la pensée. Ce faisant, un animal sans concepts serait alors dénué de pensées.
Le philosophe Donald Davidson énonce justement l'idée de l'animal dénuée de concepts en faisant intervenir la notion de croyance ainsi que le langage. D’abord, il soutient que le concept de croyance nécessite de comprendre ce qu’est une croyance – savoir qu’elle puisse être vraie ou fausse – et que ce concept est fondamental pour constituer tout autre concept. Enfin, ce même concept de croyance nécessite le langage : croire ou non la proposition «1+3=5» implique d’abord de la former par le langage.
En clair, Davidson insinue que pour pouvoir posséder des concepts, il faudrait au préalable savoir ce que signifie croire, et que pour savoir ce que signifie croire, il faudrait nécesserait le langage. Ainsi, l’auteur affirmerait par ce lien qu’un animal sans langage serait dénué de concepts.
Chater et Heyes, spécialistes de la cognition et du comportement, contestent cependant ce lien entre langage et concepts. Néanmoins, selon eux, que l’on mobilise des théories ou que l’ on observe le comportement des animaux, rien ne serait satisfaisant pour justifier qu’un animal soit doué de concepts.
Pour autant, Newen et Bartels pensent justement qu’il est possible, par observation, d’attribuer des concepts à certains animaux si ces mêmes animaux distinguent, rassemblent et mobilisent les propriétés d’un concept indépendamment des stimuli perceptuels qui lui sont liés (ex : pouvoir comprendre le concept de mort sans être confronté au même moment à une expérience liée à la mort).
Dans ce sens, le cas du didelphidé pourrait fonctionner. Cet animal utilise le thanatose, un comportement complexe servant à leurrer son prédateur en simulant la mort. De fait, en imitant un cadavre putride (par l'odeur et le ralentissement de ses fonctions vitales), l’animal semble comprendre ce qu’est la mort, et donc le concept minimal de mort, dont ses propriétés de « non-fonctionnalité » (l’animal réduit ses fonctions vitales) et d’ « irréversibilité » de l’état de mort, maintenues jusqu’à la fuite du prédateur, ainsi dupé par le didelphidé feignant la mort.