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Un objet peut-il

exister sans sujet ?

« Le mot d’ontogenèse prend tout son sens si, au lieu de lui accorder le sens, restreint et dérivé, de genèse de l’individu (par opposition à une genèse plus vaste, par exemple celle de l’espèce), on lui fait désigner le caractère de devenir de l’être, ce par quoi l’être devient en tant qu’il est, comme être. L’opposition de l’être et du devenir peut n’être valide qu’à l’intérieur d’une certaine doctrine supposant que le modèle même de l’être est la substance ».

L'Individuation à la lumière des notions de forme et d'information, p.25, Gilbert Simondon, 2005.

 
 
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© Le portrait de Dorian Gray, 2009

L’objectivité, du point de vue ontologique, désigne ce qui constitue un objet. Dans cette perspective, l’objet disposerait d’une réalité « en soi », autrement dit l’objet existe par lui-même, indépendamment de tout sujet. Aussi, cette réalité « en soi » désigne l’être comme « substance », soit comme ce qui subsisterait et persisterait en l’objet. Ce dernier détient alors un être fixe et immuable.

On retrouve dans l’Antiquité grecque, et plus particulièrement dans l’atomisme de Lucrèce et de Démocrite cette idée de l’être comme réalité permanente. Ces derniers posent en effet l’atome comme une substance, soit comme un être immuable, par opposition au non-être, le vide. Ce “substantialisme” laissera ensuite place à l’hylémorphisme (l’union de matière et de forme) qui ira – au moins – d’Aristote jusqu’à Kant. Bien que ce concept veuille rendre compte d’une genèse de l’être (comme non-fixe et immuable), il attribue fatalement une ontologie à la matière, soit comme étant « préformée ».

Dans Objectivité (2012), Daston et Galison ont cependant réfuté la réalité « en soi » de l’objet en la citant comme un produit de l’histoire. Elle fut notamment un style scientifique développé à partir du XIXe siècle avec le daguerréotype qui produit lui-même l’image, dont cette dernière sera alors qualifiée d’objet exempt de tout sujet. Cette objectivité sera pourtant estimée par nos deux auteurs de « vision aveugle » : la photographie prend compte au préalable d’un sujet qui va donner un certain angle, une certaine « vision », et un sujet pourra préférer prendre une photographie d’un certain angle tandis qu’un autre sujet le prendra d’un tout autre angle ou point de vue.

Baudelaire appuiera cette idée pour affirmer que cette approche de l’objectivité exempt du sujet n’est rien d’autre qu’un « univers sans l’homme ».

L’objet, dans cet univers, peut-il vraiment rester un « objet » sans l’homme ?

Le philosophe contemporain Simondon entreprit justement une vive critique – autant concernant l’objet que le sujet – du substantialisme et de l’être déjà constitué d’avance. Il affirma à l’inverse l’être comme « devenir » : l’être n’est pas une donnée fixe, mais une opération dynamique de transformation. C’est une processus d’individuation, de transformation, soit un processus de mise en forme indéterminée et indéterminable, qui par ailleurs ne se détermine pas d’elle-même. En effet, il faut comprendre chez Simondon que c’est surtout la notion de « relation » qui a la primauté sur la constitution du devenir dans l’objet. L’objet, de ce fait, n’est objet qu’en la présence de ce qui le relie à lui : le sujet. On parle alors de la relation qui détermine les termes que sont les « objets » et « sujets » et non pas l’inverse.

 

Ainsi, l’auteur brise la conception ontologique de l’objet — qui s’opposerait au sujet pensant — pour nous mener vers une objectivité ontogénique : un monde non pas fait d’êtres fixes, mais de devenirs et de relations.

© Texte de Jason Lopes, 8 février 2021
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