« On pourrait nommer nature cette réalité pré-individuelle que l’individu porte avec lui, en cherchant à retrouver dans le mot de nature la signification que les philosophes présocratiques y mettaient ; les philosophes ioniens y trouvaient l’origine de toutes les espèces de l’être, antérieure à l’individuation : la nature est réalité du possible, sous les espèces de cet apeiron dont Anaximandre fait sortir toute forme individuée : la nature n’est pas le contraire de l’homme, mais la première phase de l’être, la seconde étant l’opposition de l’individu et du milieu, complément de l’individu par rapport au tout ».
G. Simondon, L'individuation à la lumière des notions de forme et d'information, 2005, p. 305
Gilbert Simondon, philosophe contemporain né le 2 octobre 1924 à Saint-Etienne, est connu pour avoir bousculé la philosophie de l’individuation, qui désigne le processus d’organisation d’un être qui le distingue des autres individus. Simondon développe une philosophie de l’individuation ontogénétique – fondée sur l’être en mouvement– s’opposant à l’individuation dite ontologique, qui fonde l’être comme une substance statique et constituée d’avance.
Cette philosophie de l’ontogénétique s’appuie sur un concept fondamental de la pensée simondonienne : la « nature préindividuelle ». Cette dernière s’inspire de la nature (phusis) des philosophes de l’Antiquité grecque, et plus particulièrement de l’ « apeiron », concept présocratique désignant une cause ou un principe indéterminé qui expliquerait l’individuation d’un être, soit sa transformation.
Cependant, ces philosophes ont construit cette entité à partir d’un état stable, peu propice à l’individuation, compte tenu d’une faible ressource énergétique risquant de s’épuiser et de stopper le développement du sujet. Simondon apporte alors à cet apeiron une « charge de réalité préindividuelle », à savoir une charge énergétique présente dans les sciences modernes : la « métastabilité ».
Cette métastabilité est une énergie potentielle riche mais surtout permanente chez l’individu vivant, permettant ainsi son individuation perpétuelle. Bien qu’on qualifie cette énergie de « potentielle », on parle bien d’une « réalité préindividuelle », et donc d’un potentiel réel, qui même si on ne le perçoit pas dans le monde physique, est un concept nécessaire pour penser l’individuation de l’être en devenir.
Enfin, la nature préindividuelle, accompagnée d’une énergie réelle et permanente qui se confronte à celle présente aussi chez les autres sujets, va parachever l’individu vivant en le faisant devenir plus que sujet individuel : il devient sujet social, soit un « être de relation ».